Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       PARU DANS  LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 22 - 2020

 

Un lot de céramique médiévale
du site de Berniquaut à Sorèze (Tarn)

par Jean Catalo et Jean-Paul Calvet

 

 

Présentation

Une opération de valorisation et de prospection inventaire menée sur l’oppidum de Berniquaut de 2001à 2003 a permis de collecter un échantillon homogène dans une faille du site interprétée comme une carrière. L’échantillon de céramique recueillie constituait un lot très représentatif de 2449 fragments. Le coefficient de fragmentation s’établit à 18 g, ce qui correspond à une valeur moyenne pour le type de poterie considérée. Il indique que cet échantillon n’a pas fait l’objet d’un traitement particulier lors de son rejet. On note toutefois que les recollages réalisés sont peu nombreux et n’ont permis la reconstitution d’aucune forme archéologiquement complète. Cette difficulté est peut-être le résultat d’un dépôt secondaire, ou plus vraisemblablement le signe que les fragments collectés appartenaient à un ensemble beaucoup plus important à l’origine.

Typologie fonctionnelle

Tous les fragments recensés appartiennent au même groupe technique, à la même catégorie de production. La pâte grise siliceuse a été cuite en post-cuisson réductrice (mode B). Elle se distingue par un traitement de surface avant cuisson peu marqué mais caractéristique. Généralement la surface a été lissée, puis a reçu un polissage de traits en biais espacés, répartis sur l’épaulement du vase.

GRAPHIQUE

Ce polissage, apparemment non systématique, peut se combiner avec des stries horizontales toujours réservées à l’épaulement. Ces caractéristiques placent l’ensemble de la céramique dans la catégorie dite « grise polie » dans son expression la plus précoce.

Oules et marmites

Le répertoire typologique présent est assez développé. Il est dominé par la forme vase à cuire sans anse d’oule globulaire carénée à fond lenticulaire peu marqué. Le bord éversé est à lèvre arrondie. Ce type de bord est associé à un cordon digité vertical de renfort sur la panse dans un seul cas. Le diamètre d’ouverture de ces oules a été mesuré sur quarante exemplaires distincts. Même si ce diamètre est supérieur à 20 cm pour trois exemplaires, la majorité d’entre eux (30) s’établissent entre 15 et 20 cm, et plus de la moitié (21) encore entre 15 et 18 cm
La typologie culinaire semble être complétée par la présence de marmite, pot à deux anses latérales. Clairement identifiable sur un seul exemplaire, elle semble moins présente que l’oule malgré un nombre non négligeable de fragments d’anses rubanées placées verticalement de l’épaule à l’extremum de panse. Les couvercles à bord très relevé et lèvre arrondie sont également peu nombreux, avec une seule anse en panier, étroite et rubanée, complète. Un bord de ces couvercles porte un décor de grain d’orge imprimé.

Pégaus et cruches

Le pégau, récipient globulaire à déversoir et anse opposés, apparaît comme une des formes les plus présentes après l’oule. Elle est clairement identifiable par ses bords aplatis vers l’intérieur du vase, et les anses rubanées reliant la lèvre à la panse. La panse est parfois renforcée de cordons digités. Destinés aux liquides, les pégaus possèdent deux types de déversoirs possibles. Le plus courant est le bec ponté, mais le déversoir tubulaire court type goulot est également présent.
La cruche, plus volumineuse mais à ouverture plus étroite que le pégau, se distingue par plusieurs types. Le plus original est un exemplaire représenté une partie haute complète. Elle se compose d’un col pincé à bord arrondi, d’un déversoir tubulaire implanté plutôt verticalement, et de deux anses rubanées opposées. Le col peut présenter un ressaut interne. On trouve aussi des exemples plus connus de col pincé avec une seule anse rubanée sommitale venant directement s’attacher sur la lèvre, comparable aux types 1 et 3 du répertoire ICERAMM de l'université de Tours pour Midi-Pyrénées.
D’un usage domestique aussi, on note la présence d’une forme ouverte de bassine/cuvier ou de jarre caractérisée par un bord aplati parfois décoré d’une ligne ondée dessus, une anse courte rubanée étroite reliant la lèvre à la panse, des renforts de cordons digités horizontaux.

Approche chronologique

L’approche chronologique de cet ensemble repose sur deux types de référence : celles se rapportant au groupe technique et les aspects technologiques de la production, celles éclairant plutôt la typologie et l’assemblage de formes présentes.

La grise polie précoce

La céramique à pâte grise et polissage est présente du XIIIe au XVe siècles sur l’ensemble du Toulousain, en Tarn-et-Garonne et à l’ouest du département du Tarn. Il faut cependant distinguer plusieurs phases dans son évolution. Elle apparaît notamment sous une forme de « grise polie précoce » dès le XIIe siècle en association avec des formes à traitement de surface différent. Le polissage généralement espacé ne touche alors que l’épaulement du vase en combinaison avec un lissage global. Tout proches de Berniquaut (CALVET 2005 B), les poteries trouvées à l’intérieur de la grotte du Calel (CALVET 2005 A) ou de l’aven du Métro sont parfaitement comparables (cf. infographie). Ces sites miniers du plateau de Sorèze proposent des datations C14 dont la fourchette commune généralement retenue est milieu XIe-XIIe siècles, mais avec des écarts jusqu’au début du XIIIe siècle. Cette catégorie précoce a également été identifiée et datée récemment en Toulousain (CARME 2010, CATALO 2013). À Toulouse et sur les sites de Préserville et Vieille-Toulouse, elle est présente dans des contextes pour lesquels les dates au radiocarbone donnent les mêmes fourchettes. Cette production est alors encore associée à de la céramique à pâte rouge et polissage dont la proportion tend à s’amenuiser. À partir du XIIIe siècle, le polissage se généralise et complexifie en association avec une diversification des formes (LASSURE VILLEVAL 1990).

Le répertoire

Bien que moins diversifié que pour la céramique grise polie classique, le répertoire précoce est ici relativement étendu, en particulier en comparaison des sites toulousains. Dans les grottes et sites miniers, on retrouve l’oule, la marmite, le pégau à déversoir tubulaire, et la cruche à l’aven du Métro. Toutes ces formes se retrouvent également sur le site du Castlar de Durfort, en relation étroite avec l’abandon de Berniquaut, soit dans le courant du XIIIe siècle : oule à polissage combiné avec stries (POUSTHOMIS 1984, pl. XIII fig. 1 et 2), cruche à deux anses opposées (POUSTHOMIS 1984, pl. XVII), jarre à cordons (POUSTHOMIS 1988, p.49). Plus important, Durfort révèle aussi d’autres formes présentes sur le site étudié : pégau à bec ponté et cordon digité (POUSTHOMIS 1987, pl. XIV fig. 1), cruche de type 1 ou type 3. Ce type de cruche à anse sommitale a été découvert pour le XIIIe siècle à Castres (CATALO 2005) ou Toulouse, associé aux marmites et pégaus pontés. Ces dernières font aussi partie de la typologie classique des céramiques en grise polie avec les bassine/cuvier, jarre, cruches à col pincé, connues pour le XIIIe siècle à Toulouse. Au final, l’assemblage typologique de l’échantillon de la carrière de Berniquaut se rapproche nettement de sites plutôt de la fin du XIIe siècle et du début du XIIIe siècle. Cette sensation est confirmée par l’absence totale de céramique rouge polie. L’examen des diamètres d’ouvertures des oules semble également confirmer une tendance tardive. Pour les XIe-XIIe siècles, ce diamètre, en augmentation par rapport à la période VIIIe-Xe siècles, atteint seulement 12 cm pour les Xe-XIe siècles seulement à Blagnac (CATALO 2008), à Toulouse. Pour les sites les plus proches, ce diamètre varie entre 10 et 16 cm au Calel, entre 15 et 20 cm au Castlar plus tardif.

Conclusion

L’homogénéité du lot céramique recueilli à Berniquaut en 2001 présente un ensemble de céramique grise précoce. Les sites proches de la grotte du Calel et de site du Castlar de
Durfort offrent les meilleurs éléments de comparaison. Si les datations du radiocarbone au Calel ou à l’aven du Métro offrent des fourchettes chronologiques assez larges, la diversité typologique et la moyenne des diamètres d’ouverture des oules inventoriées évoquent plus volontiers le XIIIe siècle au Castlar. La combinaison chronologique possible situe ainsi l’échantillon pour la fin du XIIe siècle ou le début du XIIIe siècle. Ce résultat paraît conforme à la période supposée de l’abandon du site de Berniquaut pour celui du Castlar de Durfort.

Bibliographie

CALVET 2002 : CALVET J.-P., Sorèze oppidum de Berniquaut, Bilan scientifique 2003,
Service Régional de l’Archéologie DRAC Midi-Pyrénées, pp. 167-168.
CALVET 2005-A : CALVET J.-P., Le site minier et métallurgique du Calel (Sorèze), bulletin de L’association de recherches baziègeoise racines environnement, 2005, tome 16, pp. 61-71.
CALVET 2005-B : CALVET J.-P., L’oppidum de Berniquaut (généralités), bulletin de L’association de recherches baziègeoise racines environnement, 2005, tome 16, pp. 72-82.
CARME 2008 : CARME R.  dans  HENRY Y., Clos Montplaisir, Vieille Toulouse (Haute- Garonne), Rapport d’opération archéologique, Hadès, 2008 vol. 1, pp.66-76.
CARME 2010 : CARME R. HENRY Y., L’ensilage groupé et les campagnes du premier Moyen-âge en toulousain : quelques réflexions à l’aune de deux fouilles récentes (l’Oustalou à Préserville et Clos Montplaisir à Vieille Toulouse, Archéologie du Midi médiéval, 2010, tome 28, pp. 33-101.
CATALO 2005 : CATALO J. et alii, Place Jean Jaurès à Castres, Document Final de Synthèse, Inrap Toulouse 2005.
CATALO 2008 : CATALO J. dans PAYA D. (DIR), Sauzas, Blagnac (Haute-Garonne), R.F.O. secteur médiéval, Inrap, 2008.
CATALO 2013 : CATALO J., Toulouse Ecole d’économie (Haute-Garonne), R.F.O. Inrap, 2013, en cours.
CATHMA 1993 : CATHMA, Céramiques languedociennes du Haut Moyen-âge (VIIe-XIe s.) études micro-régionales et essai de synthèse, Archéologie du Midi médiéval, tome XI, 1993, pp.111-228.
LASSURE VILLEVAL 1990 : LASSURE J.-M., VILLEVAL G., Quelques productions céramiques dans la région toulousaine, Archéologie et vie quotidienne aux XIIIe et XIVe siècles en Midi- Pyrénées, catalogue d’exposition au Musée des Augustins, 7 mars - 31 mai 1990, Toulouse, pp. 285-288.
LASSURE 1998 : LASSURE J.-M., avec la collaboration de BARBE L. et VILLEVAL G., La civilisation matérielle de la Gascogne aux XIIe et XIIIe siècles : le mobilier du site archéologique de Corné à L'Isle-Bouzon (Gers), Ministère de la Culture/Sous-Direction de l'Archéologie/FRA.M.ESPA/UTAH 1998. 590 p.
POUSTHOMIS 1984 : POUSTHOMIS B. dir., Le Castlar, Durfort (Tran), Rapport de fouilles programmées., 1984.
POUSTHOMIS 1987 : POUSTHOMIS B. dir., Le Castlar, Durfort (Tran), Rapport de fouilles programmées., 1987.
POUSTHOMIS 1988 : POUSTHOMIS B. dir., Le Castlar, Durfort (Tran), Rapport de fouilles programmées., 1988.

. Étude réalisée en 2011.

. Répertoire en cours d’élaboration : ICERAMM, réseau d'information sur la céramique médiévale et moderne,  http://iceramm.univ-tours.fr/


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